Les Carnets d'Emile ou les souvenirs de mon grand-père dans le Lauragais des années 50
Publié le 25 Août 2019
Les Carnets d'Emile sont les souvenirs de travail - pour l'essentiel - d'un métayer qui consignait chaque soir, au terme de sa journée de labeur, non seulement le relevé de ses activités mais aussi les conditions météorologiques ou encore quelques événements familiaux.
Ce témoignage est rendu exceptionnel aussi bien par sa densité que par sa rareté... Densité car cet homme, dans la continuité de son père, a écrit chaque jour de sa carrière son travail de paysan, saison après saison, année après année, avec des mots simples, une écriture soignée et une constance remarquable. Rareté car il n'est pas si fréquent dans le monde paysan des années 50 qu'un métayer s'intéresse à l'écrit et s'astreigne avec une telle régularité à cet exercice. Le caractère exceptionnel est encore renforcé par le fait que la métayage est, au milieu du XXe siècle, un mode d'exploitation déjà presque obsolète (seulement 3,4% des exploitations en 1954 selon l'INSEE).
Cet homme, c'était notre grand-père. Il ne s'appelait pas tout à fait Emile mais il était si pudique qu'on comprendra qu'on lui conserve ici son anonymat. C'était un taiseux mais un taiseux qui écrivait. Alors, bien-sûr, on ne trouvera pas au longe des pages d'envolées lyriques pas plus que colériques : quelle que soit la situation, les sentiments, on ne les dit ni ne les écrit, on les tait. On ne s'intéresse qu'aux faits puisque ces carnets ont une fonction réelle, celle d'être une mémoire de travail à laquelle on se réfère souvent.
Et puis qu'importent les lieux pas tout à fait précis, les noms anonymés, ce qui compte c'est la force de son témoignage. Elle se révèle intacte dépeignant par petites touches au fil des lignes noircies dans de vieux cahiers d'écolier toute la difficulté d'être un miéjaïre. Quand on est un métayer, on partage le produit des quelques hectares qu'on travaille avec leur propriétaire. Les petites parcelles viennent se nicher entre les coteaux joufflus du Lauragais et la rigole qui serpente vers le partage des eaux à Naurouze. Aussi, pour faire vivre les 4 générations qui habitent sous le même toit, il faut déployer une énergie sans pareille et que chaque membre de la famille participe de la petite entreprise. L'élevage permet de se nourrir et de compléter les revenus ; le potager lui, se déploie en des dimensions conséquentes.
C'est tout cela qu'Emile écrit en creux : le portrait d'un Lauragais aujourd'hui disparu, l'esquisse d'un métier exigeant empesé de ses traditions qui voit pourtant les progrès se multiplier au coeur des années 50. L'exploitation dans le cadre du métayage y accèdera mais à un rythme nettement plus lent.
Ces carnets ont longtemps reposé sur les étagères familiales, ils permettent ici, sous la forme d'un petit blog, d'évoquer ce Lauragais d'autrefois dont les paysages actuels portent encore les traces. Un dialogue à travers le temps...
S.