Le Noël de Joan d'Aici (2e partie) Conte de Noël lauragais
Publié le 24 Décembre 2021
Suite et fin du conte de Noël lauragais des Carnets d'Emile.
Si vous n'avez pas lu la première partie elle se trouve ici : Joan d'Aici (1ère partie)
Joan d’Aici fut déposé aussi rapidement qu’il s’était élevé dans les airs, assis au pied d’un frêne. Adossé à l’arbre lorsqu’il rouvrit les yeux, il eut bien du mal à croire ce qu’il voyait. La métairie de son enfance était là, devant lui, dressant son ombre imposante à la lueur de la lune. Mais bien vite Jean se mit à pleurer : cette borde qu’il rêvait de revoir n’était que spectacle de désolation, les années avaient eu raison de sa superbe. Désormais à l’abandon, il distinguait la porte de l’étable envahie de ronciers gourmands, les volets délabrés laissaient entrevoir des fenêtres aux vantaux dégondés, certaines même laissaient s’échapper le houppier d’arbrisseaux qui poussaient à l’intérieur et au travers la toiture désormais dentelée on distinguait la lune. Sur le côté, le hangar s’était effondré sur une vieille charrette qui n’avait plus de propriétaire depuis bien longtemps.
Joan pleura, un long moment, comme fontaine, il pleura à chaudes larmes. Jusqu’à ce qu’une petite voix le tirât de ses sanglots :
— Pourquoi donc es-tu si triste, vieil homme ? l’interrogea l’enfant emmitouflé qui l’observait avec des yeux ronds.
— Parce que je suis devant la maison de mon enfance grâce au vent d’autan qui m’a accordé un vœu mais…
— Comment t’appelles-tu ?
— Jean mais tout le monde m’appelle Joan d’Aici.
— Tu pleures parce que ta maison est vide ?
— Oui et parce que dans mes souvenirs c’était une belle borde pleine de vie. Tu aurais vu comme ils étaient luisants et bien soignés les bœufs dans l’étable, parfaitement cardés et comme elles couraient joyeusement les volailles de la bassecour, tu aurais entendu les cris et les rires des travailleurs dans la poussière les jours de battaisons ou quand là-bas , juste là-bas devant, s’entassaient les comportes lorsqu’on vendangeait…
— Ce ne sont pas les murs que tu voulais retrouver en réalité ?
— Je crois que tu as raison, petit, c’étaient plutôt les sensations : la chaleur des étés sur mon visage, le bruit des roues cerclées de la charrette trop chargée sur les cailloux, l’odeur du raisin qui fermente, ma grand-mère qui crie pour que je vienne à table, le goût merveilleux et que je n’ai jamais retrouvé des farinettes qu’elle préparait, la neige qui crisse sous mes godillots en plein cœur de l’hiver… C’est tout cela à la fois, je crois, que j’attendais.
Tout à ses souvenirs, Joan conta aussi ses Noëls d’autrefois, les longues veillées autour de la longue bûche d’ormeau qui devait se consumer sans cesse entre Noël et jour de l’An, les lampes à carbure des voisins qui n’étaient plus qu’un point lumineux scintillant dans la nuit lorsqu’ils repartaient, l’orange qu’on lui offrait et qui faisait briller le soleil en plein hiver à chaque bouchée, les petits chevaux, les petits sujets sculptés par son grand-père dans une branche de tilleul.
— Ce que tu racontes bien, Joan d’Aici ! s’extasia l’enfant. Si tu veux, je peux t’aider moi-aussi…
— Vraiment ?
— Oui, le vent d’autan m’a accordé un vœu à moi-aussi et si tu le veux, je te le cède.
Joan d’Aici, sous l’émotion, ne sut que dire.
— Mais, petit, un vœu c’est précieux. Il vaut mieux que tu le gardes pour toi.
— Ecoute, Joan d’Aici, je vois bien la tristesse profonde dans laquelle te jettent ces ruines. Quant à moi, j’ai toute la vie pour réaliser mes vœux et me forger des souvenirs. Alors…
— Tu ferais ça ?
— Ils ne sont pas loin tes souvenirs, tu les racontes si bien. Les mots les ont rapprochés de nous, les ont ravivés. On entend même les bruits de la ferme endormie. Ecoute... On sent presque le soleil de l’été. Il n’y a plus qu’un pas à franchir, tu le pourras grâce à ce vœu. Et si ce n’est pas suffisant, regarde, en bas du coteau, tout en bas du chemin, la lumière qui brille c’est celle de la borde où j’habite. Et je suis sûr que tous les miens seront aussi ravis que moi de t’accueillir au coin du feu pour te faire de nouveaux souvenirs et parler de ce passé qui t'est si cher…
Joan avait pris son visage dans ses mains bouleversé par tant de générosité.
— Mercès plan pichon !* murmura-t-il.
Mais lorsqu’il releva la tête, l'enfant avait déjà disparu. Autour de lui, on n’entendait rien d’autre que le murmure du vent d’autan qui paraissait un peu apaisé. Alors, avant de faire son second vœu, Joan d’Aici contempla les étoiles et tout le paysage alentours dont il distinguait les grandes formes dans la pénombre. Il les connaissait par coeur, les bosquets, les frênes, les chênes, les cyprès, les chemins caillouteux, les collines élimées, il avait passé sa vie au milieu d'eux. Puis, en souriant, il prit une longue inspiration.
* Merci beaucoup petit !
De très bonnes fêtes à vous tous, amies lectrices, amis lecteurs ! Et mille mercis pour votre fidélité à ce site.