Lauragais d'Autrefois (148) journal d'un semeur d'antan (le semenaire)

Publié le 13 Novembre 2021

Reconstitution d'un semenador par Aimé Boyer

Reconstitution d'un semenador par Aimé Boyer

Emile évoque les semailles dans ses carnets, une période de l'année cruciale surtout à l'heure où les assolements comportaient beaucoup de blé. La météo de novembre et décembre était alors - et encore aujourd'hui - une inquiétude vive. Ne pas semer trop en retard... Cette évocation a fait resurgir quelques souvenirs. Voici ceux d'Aimé du temps où l'on semait à la main et qu'il a eu l'amabilité de m'adresser. Nous les avions déjà publiés ici mais ils sont tellement précis et évocateurs qu'ils méritent d'être proposés à nouveau à votre lecture.

 

Les semences :

Dans les années 40 et 50, les agriculteurs  produisaient leurs propres semences. "Nous faisions des échanges entre nous. Il y avait aussi quelques négociants qui passaient dans les fermes et proposaient des semences de blé de la Beauce. Ils nous disaient que c'étaient des blés à grand rendement, sourit-il. Ce qu'il ne nous disaient pas bien-sûr, c'est nous n’avions pas le potentiel pour produire ! Nous n'avions ni l'engrais, ni les semoirs adaptés, ne les produits nécessaires mais c’était un espoir auquel nous nous raccrochions. Nous le voyons tous les jours avec  les carnets d'Émile, le tournant était bel et bien négocié. Avant les années 50 nous ne parlions pas surface, c'étaient des arpents, le journal."

 

Les rendements  : 

"Si, aujourd’hui, on parle de quintaux/hectare, à l'époque on connaissait presque le nombre de grains de blés à l’hectare.  On parlait de semences : un sac de blé 80 kilos, c’était le poids spécifique recherché pour commercialiser le blé. Par exemple 80 kilos produisaient  plus ou moins 8 sacs de semence à 80 kilos, 640 kilos donc.  Plus ou moins. Je ne saurais dire ce que ça représentait en termes de surface."

 

Le journal :

C'était une évaluation du temps qu'il fallait pour ensemencer un champ ou une surface donnée à la main.  Un grand champ pouvait contenir un certain nombre de journées d'homme à semer. C'était une vieille notion qui a parfois perduré tant que les mesures de semences ne pouvaient servir.

"Notre journal en Lauragais variait. Semé à la main, tributaire du vent, du terrain sec ou mou et de tant d'autres facteurs. reprend Aimé. Les chaussures étaient des sabots (les esclòps  en occitan) qui ramassaient facilement la boue, ralentissaient la marche surtout dans les champs en pente du Nord Lauragais. Cela ne facilitait pas l'avance du semeur"

 

Les jalons : 

Ils étaient faits avec les jambes de maïs (las cambòrlas) que les animaux avaient nettoyées de leurs feuilles. Ils étaient plantés à chaque bout du champs, parallèlement au fossé. "Quand les champs étaient rectangulaires ou carrés, pas de problème. Pour les autres formes trapézoïdales, triangulaires ou biscornues, c'était parfois plus compliqué." 

 

Le semis : 

"Nos jalons en place, il fallait s’occuper du blé ou de l'orge ou de l'avoine. Ils constituaient l'essentiel de notre assolement d'alors. D'abord on montait au grenier pour en descendre la quantité de grain programmée pour la journée de semis.  Ce blé qui avait été passé au trieur à grain ambulant était étalé. On faisait un mélange de vitriol et d'eau - à vertu fongicide - que l’on vidait sur le tas et il était mélangé comme du mortier. Nous étions alors prêts pour semer."

Le sac de blé posé sur la canadienne, une bouteille dans la musette pour la soif, le semeur était prêt. "On n’allait pas chez le docteur, mais on savait qu’il fallait boire. Je préparais ensuite le semenador (prononcer semenadou) : une sache en jute, une petite corde attachée à l’angle bas du sac, et l’autre bout à l’angle de la gueule du sac qui contenait une quantité de blé suffisante pour faire l’aller retour. Ce semenador  (voir reconstitution photo) était posé de façon à être divisé en deux sur le bras.

 

Le rythme et le geste du semeur :

"Nous y allons. On prend position devant le premier jalon en imaginant une ligne virtuelle avec le jalon. On commence par jeter un peu de blé autour de soi pour combler la marge. Et en avant, d'un pas régulier, ni trop grand, ni trop petit. Une fois le rythme pris, ça devenait presque mécanique. D'ailleurs ce n’était pas si désagréable. Quand le pied gauche touchait le sol, le bras droit partait en un geste large comme une demi-lune. Autant vous dire que lorsque cela durait une journée entière, le soir, on n’avait pas besoin de compter les moutons pour s’endormir.

Personnellement, je n’étais pas un champion. Je ne lâchais pas le blé régulièrement. Et au printemps, ça faisait des tas ou des ondulations. Et bien-sûr les voisins ne manquaient pas de me le signaler en riant, surtout les anciens, mais c'était bon enfant.

Ensuite, pour couvrir  il y avait aussi la herse  et quand le temps le permettait, on terminait en passant le rouleau en bois."

 

 

Merci à Aimé B. pour sa précieuse collaboration et ses souvenirs savoureux et tellement précis.

Ce post fait partie de la série sur le Lauragais agricole d'autrefois. Vos contributions seront les bienvenues comme rappelé dans ce post-ci : Ecrivons ensemble le Lauragais agricole d'autrefois (cliquer dessus)

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Rédigé par Emile

Publié dans #Lauragais agricole d'autrefois

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