Le Noël de Joan d'Aici (conte de Noël lauragais)

Publié le 21 Décembre 2021

Le Noël de Joan d'Aici (conte de Noël lauragais)

Je vous propose cette semaine un exercice un peu différent avec, c'est de saison, un conte de Noël inspiré de la vie dans les campagnes lauragaises. Je vous en souhaite une bonne lecture. Passez de bonnes fêtes, chaleureuses et joyeuses.

C'était aux temps anciens où l'on n'entendait par les routes et les champs du Lauragais que le pas ferré des chevaux ou des bœufs et le cliquetis des tresegats* et des redondas* sur les jougs. Un homme au soir de sa vie marchait dans la nuit de Noël. Les gens l’appelaient Joan d’Aici parce qu’on l’avait toujours vu là.

Nul n'aurait su dire où se rendait ainsi Joan ce jour-là. Et lui-même le savait-il d'ailleurs ? Mais il marchait, allant son chemin certes avec lenteur mais avec une détermination bornée. Son ombre portée par la clarté nocturne de la lune dessinait sa silhouette voûtée sur les buissons de cade qu'il croisait le long des vallons doux et trahissait en même temps son pas rendu hésitant par les années trop accumulées.

D’une main, il tenait son chapeau de feutre mou et de l’autre resserrait le col de sa gabardine élimée pour se protéger.

— Satané vent d’autan, maugréait-il de temps en temps lorsqu’une bourrasque tentait d’emporter son couvre-chef ou le faisait chanceler presque sur ses jambes fragiles.

Car depuis presque trois jours le coquin balayait le sillon Lauragais de ses caprices faisant régner cette indicible tension nerveuse chez les vivants, hommes et bêtes. Les uns la ressentaient sans pouvoir pourtant poser le moindre mot dessus alors même qu’ils étaient pourtant capables de langage. Les plus fragiles sentaient leur esprit se distordre en une vrille douloureuse, sentant glisser leur raison vers des abîmes inquiétantes. Les autres tapaient du sabot, ruaient dans les étables, s’agaçant d’un rien.

Notre homme, lui, continuait son chemin en pestant.

— Ce vent m'aura décidément gêné toute ma vie. Toute ma vie de paysan, je lui en aurais voulu pour une raison ou l’autre. Et même un soir de Noël, il faut encore qu’il joue les trublions et me contrarie.

D’une rafale plus enroulée que les autres, s’échappa une voix rauque qui surprit le marcheur.

— Mais qu’as-tu donc à me reprocher de la sorte ?

Compère le vent s’était mué en une étrange forme matérialisée sous les yeux du vieil homme par un tourbillon de feuilles mortes, de brindilles et de poussière. Il continua en un murmure :

— Qu’est-ce qui me vaut ta colère Joan d’Aici ? C’est parce que tu marches vers l’Est ? C’est toi qui l’as choisi. Marcherais-tu vers l’Ouest que je glisserais ma main dans ton dos pour t’aider dans ta progression. Où te rends-tu d’ailleurs par cette fraîche soirée ? Et pourquoi dis-tu que j’ai contrarié ta vie de paysan ? J’ai tout entendu ! J’entends tout, tu sais !

Le vieil homme, d’abord interloqué, se campa les bras croisés, bien décidé à saisir la chance offerte de régler ses comptes :

— Qui d’autre que toi vent d’autan a détourné tant de fois, au dernier moment, le grain lâché par ma main des sillons auxquels je le destinais ? Qui a si souvent couché les blés mûrs au plus mauvais moment, juste avant la moisson en sectionnant leurs jambes d’or ? Qui encore a balayé les andains de fourrage de grain les soulevant les enroulant pour aller les déposer au loin ? Qui a agité la chaleur estivale jusqu’à ce qu’elle trace des crevasses de sècheresse dans les champs et qu’elle enroule les feuilles de végétaux comme papier à cigarette ?

— Je te trouve bien ingrat Jean d’Ici car tu oublies un peu vite que bien souvent j’ai retenu l’orage et la pluie au loin pour te permettre de terminer tes travaux , j’ai repoussé la grêle chaque fois que j’ai pu pour ne pas ruiner tes cultures, j’ai souvent empêché le froid de la nuit de saccager tes jeunes pousses, j’ai incité la neige à rester dans son domaine des hauteurs. Tu l’oublies ! Mais je vais non pas me faire pardonner, n’ayant rien à me reprocher, je vais te montrer ma grande mansuétude, te démontrer mon immense bonté. Car cette nuit n’est pas comme les autres aussi je vais t’accorder un vœu, un vœu et un seul. Dis-moi ce que tu souhaites vieil homme et tu l’auras sur le champ, je veux dire… tout de suite… Qu’en dis-tu ?

Joan d’Aici, un peu interloqué, ne sut d’abord que dire, lui pourtant si bavard d’ordinaire. Puis il réfléchit, un instant, pas trop longtemps de peur de laisser filer sa chance.

— Mon grand-père disait toujours Per Nadal, cadun dins son ostal **. Alors, auta, si réellement tu en as le pouvoir ramène-moi à la borde de mon enfance, celle où j’ai vécu de si belles années, de si beaux Noël, de si beaux étés…

Sans plus de discours, le vent d’autan enveloppa Joan d’Aici d’une main légère et le souleva au milieu des nuées. Dans ses yeux les constellations tournoyaient, il se voyait quitter la Terre porté tel une feuille morte. Il s’abandonna, les yeux fermés.

A suivre...

* pièces d'attache pour les jougs

** Pour Noël, chacun dans sa maison (dans sa famille)

Suite et fin de ce conte de Noël dans  la journée du vendredi 24 décembre. Pour la découvrir cliquez ici : Joan d'Ici (2e partie)

Joyeuses fêtes à tous les lecteurs des Carnets d'Emile

Rédigé par Emile

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A
un grand merci de ce conte ou on retrouve l espace d un instant son âme d enfant
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A
Oui: Me rapelle (les Jean qué passo) au Printemps avec sa mule. Qui vendait des petits articles divers? Comme des Batos et des tadchos; pour Batter les sabots (Esclots), et d'autres choses encore. Bravo